Peter Carey sur La véritable histoire du Gang Kelly

Le film tiré du roman de Peter Carey La véritable histoire du Gang Kelly devrait bientôt être diffusé dans les salles d’Europe. Au casting, on trouve entre autres Russell Crowe, dans le rôle d’Harry Power et Essie Davis, connue en France pour son rôle de Miss Fisher. À l’occasion de la sortie au Royaume-Uni, le Gardian a publié un texte écrit par Peter Carey, où il revient sur les origines de ce roman. En voici la traduction.

‘I was not shy to think that I’d write a novel that would transform everyone’s idea of that bearded bushranger’ … Ned Kelly, 1946, by Nolan.
Photograph: Bridgeman Images

Peter Carey sur La véritable histoire du Gang Kelly : « À 56 ans, j’ai écrit ce que plus jeune je n’aurais pas pu faire »

Trente ans après avoir découvert une lettre du bushranger Ned Kelly, Carey a emprunté sa voix pour écrire un roman couronné par le Man Booker Prize

Samedi 8 février 2020

En 1961, j’ai raté mes partiels de première année à la faculté de sciences de l’université de Monash à Melbourne. Ensuite, j’ai trouvé un boulot dans la pub et j’ai lu Ulysse de Joyce. J’étais entouré de publicitaires qui écriraient bientôt leur premier roman. L’un d’eux, Barry Oakley, m’a emmené voir une exposition consacrée à Sidney Nolan qui réunissait une série de peintures sur Ned Kelly. Nous étions en 1964, et Gabriel García Márquez écrivait « Le monde était si récent que beaucoup de choses n’avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les montrer sur doigt. » J’avais 21 ans. L’art venait d’entrer dans ma vie et tout m’intéressait.

J’avais lu William Faulkner et Flann O’Brien. Je m’étais pris de passion pour Nolan, en faisant des rechercher sur ses peintures j’avais fini par découvrir une lettre écrite par Kelly en 1879 alors qu’il s’apprêtait à braquer une banque à Jerilderie, au sud de la Nouvelle-Galles-du-Sud. Aujourd’hui, elle est disponible sur Google. S’il vous plait, jetez-y un coup d’œil. J’espère que vous y verrez ce que j’ai vu : « In or about the spring of 1870 the ground was very soft a hawker named Mr Gould got his wagon bogged between Greta and my mother’s house on the eleven mile creek, the ground was that rotten it would bog a duck in places ».

Pourquoi personne ne m’en avait-il jamais parlé ? Personne n’avait-il vu ce que je voyais, que ce célèbre bushranger était en réalité un artiste d’avant-garde génial ?

J’étais encore enivré de Joyce et je nourrissais une ambition aveugle. Je n’avais pas beaucoup lu. J’avais écrit une seule histoire qui n’avait pas été publiée, mais j’étais persuadé que je pourrais écrire un roman qui changerait l’image que tout le monde avait de ce voyou australien. « I dare not strike him, » avait écrit Kelly sur Hall (un policier), « or my sureties would loose the bond money I used to trip him and let him take a mouth full of dust now and again as he was as helpless as a big guano after leaving a dead bullock or a horse. I threw big cowardly Hall on his belly I straddled him and rooted both spurs onto his thighs he roared like a big calf attacked by dogs and shifted several yards of the fence I got his hands at the back of his neck and trid to make him let the revolver. »

Je n’ai pas corrigé les fautes d’orthographe. Je n’ai pas ajouté une virgule. J’ai réécrit la lettre et je l’ai portée en moi comme la Sainte-Croix. Et pourtant, mon premier roman ne laissait rien paraître de l’influence de Kelly. C’est de Samuel Becket que je m’étais inspiré. Quand j’ai perdu la lettre de Jerilderie dans un pub, je ne l’ai même pas remplacée.

C’était fini, semblait-il. J’avais terminé neuf romans sans un clin d’œil à Kelly. J’étais vieux. J’avais quitté l’Australie. J’habitais à New York et puis, juste quand mes amis craignaient que j’aie complètement oublié mon pays, je suis allé au Metropolitan Museum of Art, et elles étaient là : les superbes peintures de Nolan représentant Kelly. Les uns après les autres, j’y ai emmené mes nouveaux amis de Manhattan pour qu’ils découvrent à leur tour chacune des 27 peintures, comme des stations du Chemin de croix. Je leur ai expliqué pourquoi, en l’absence d’un Thomas Jefferson, ce hors-la-loi légendaire répondant au nom de Ned Kelly incarnait pour nous le symbole de la résistance.

C’était en 1994, 30 ans après avoir lu la lettre de Jerilderie. À 56 ans, je me suis assis à mon bureau et j’ai écrit ce que plus jeune je n’aurais pas pu faire : « J’ai perdu mon père à l’âge de 12 ans et je sais ce que c’est d’être élevé dans les mensonges et les silences ma chère fille tu es pour le moment trop jeune pour comprendre un mot de ce que j’écris, mais cette histoire est pour toi et ne contiendra pas un seul mensonge que je grille en enfer si je dis faux. »

Lire ma critique ici.

Les enjeux de la traduction – Entretien avec Will Firth

Discussion autour des enjeux de la traduction avec Will Firth, traducteur australien du russe, serbo-croate et macédonien vers l’anglais.


Entretien précédemment paru sur le blog de ANZLit Lovers le 28 avril 2013.

Je suis traducteur littéraire, et je traduis principalement des romans et recueils de nouvelles pour des éditeurs en Angleterre et aux États-Unis. Je connais assez bien la scène littéraire des pays de l’ex-Yougoslavie, donc mes principaux clients me laissent suggérer des titres. Ces dernières années, j’ai ainsi pu choisir la moitié des œuvres sur lesquelles j’ai travaillé.

Je rencontre rarement les auteurs avant de traduire leurs livres.  On se contacte par email une fois que le contrat est finalisé, et que nous sommes sûrs de la viabilité du projet. On commence par s’écrire, et je leur pose des questions. D’abord d’ordre général, puis de plus en plus détaillées. J’aime discuter de tout même quand je suis sûr de la solution à 99%. Le texte source est en effet souvent ambigu, et il peut y avoir plusieurs options de traduction en anglais. Être sûr de l’intention de l’auteur est important pour moi. La grande majorité des auteurs apprécient ces échanges intensifs ; ils sont heureux de savoir que quelqu’un lit leur travail scrupuleusement. Parfois, cela met en lumière des inadéquations qu’ils voudront rectifier dans les prochaines éditions. De temps en temps, nous ne sommes pas d’accord sur certains points ; dans ce cas-là, il n’y a pas de règles, les auteurs, moi ou l’éditeur pouvons avoir le dernier mot. Je n’ai traduit qu’un seul auteur décédé, et c’était dommage de ne pas pouvoir le connaître ! J’ai un peu peur de travailler pour un auteur très connu (ou avec des positions arrêtées) qui voudrait contrôler certains aspects de la traduction.

« Aussi littérale que possible, aussi libre que nécessaire », est souvent la devise d’une bonne traduction. Parfois, un grand écart mental est nécessaire pour parvenir à une équivalence en anglais, surtout lorsque la structure de la langue est très différente. De la même façon, on peut avoir recours à des reformulations assez importantes pour mettre en valeur des références culturelles implicites dans le texte source.  Une expression toute faite ou une traduction libre qui contient l’essence de la situation permet souvent d’arriver à de bons résultats. Parfois, ça demande beaucoup de réflexion pour réussir à avoir une bonne solution concise.

Mon travail comprend aussi la suppression de répétitions et autres redondances. D’autre part, je dois souvent contextualiser et expliquer certains termes lorsqu’ils ne sont pas clairs. Par exemple, lorsque les écrivains de l’ex-Yougoslavie font référence à « la guerre ». En général, on comprend à quelle guerre ils font référence uniquement à l’aide du contexte, ma traduction doit donc en dire un peu plus, et indiquer s’ils parlent de la Seconde Guerre mondiale, ou d’une des guerres ayant eu lieu en Yougoslavie dans les années 90. J’y fais référence au moins à la première allusion.

Les blagues, les jeux de mots sont bien connus pour être difficiles à traduire et nécessitent souvent de changer complètement l’image pour exprimer la même émotion en anglais.

Parfois, la terminologie pose problème, et comme il est rare de pouvoir utiliser des notes en bas de page, le traducteur doit choisir d’adapter le texte en faisant de légères modifications. Lorsque je travaillais sur un roman historique, je me suis évité de nombreux maux de tête en persuadant l’éditeur d’écrire une brève introduction dans laquelle j’expliquais certains des termes et problèmes.

Pour certains livres, nous avons dû changer le nom du personnage principal parce que l’association faite en anglais n’aurait pas été la bonne. Parfois, j’ai également dû inventer un titre pour un livre ou une histoire parce que la traduction littérale du livre original aurait été terne ou trompeuse.

La pensée latérale, requise pour trouver ce genre de solution, est exigeante et certains jours je sens que je ne peux pas me laisser aller et penser de façon originale. Mais c’est très gratifiant lorsque je trouve une solution appropriée, et encore plus quand les lecteurs l’apprécient.

© Will Firth
Pour en savoir plus www.willfirth.de/english.html
Traduction d’Angélique Montané

Rencontre avec… une traductrice

Etre traducteur de littérature, c’est aussi être un peu auteur. Josette Chicheportiche est l’exemple parfait, traductrice de livres anglo-saxons, elle est également l’auteure de nombreux ouvrages pour la jeunesse, Ne le dis à Personne (Oskar Jeunesse, 2012), Lettres anonymes (Oskar Jeunesse, 2011), Une si petite fugue (Syros, 2004). En Septembre dernier, paraissait Cinq Carillons (Five bells, Random House 2011) aux Editions du Mercure de France écrit par l’australienne Gail Jones et traduit par Josette Chicheportiche. Je lui ai posé quelques questions.

J’ai lu dans une interview sur le site La mare aux mots que vous avez commencé le métier de traductrice par hasard avec Journal d’une princesse.
Non, je ne me suis pas lancée dans le métier de traductrice par hasard. Je traduisais depuis une bonne dizaine d’années et j’ai commencé par des romans adultes, des essais, des voice-over et du sous titrage. Je ne me suis mise à traduire de la jeunesse qu’à partir du moment où j’ai moi-même écrit en jeunesse.

Aviez-vous suivi une formation de traductrice avant cela ?
J’ai fait des études d’anglais (hypokhâgne et khâgne puis maîtrise d’anglais), j’ai rencontré un éditeur qui m’a confié un roman, et voilà.

Aujourd’hui, est-ce votre activité principale ?
Oui, la traduction est ma principale activité, du moins, celle qui me permet de manger ! J’essaie d’écrire entre deux traductions, ce qui est toujours un peu compliqué, faute de temps.

Selon vous quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon traducteur?
Les qualités pour être un bon traducteur ? Etre très bon dans la langue d’arrivée. A mon avis, il n’est pas nécessaire d’être bilingue car on peut toujours trouver le sens d’un mot, d’une expression dans un dictionnaire ou auprès d’anglophones, sans compter qu’une langue évolue sans cesse. Trouver le ton juste importe énormément aussi, et avoir le sens des dialogues.

Quels sont les points positifs et négatifs du métier de traducteurs ?
Points positifs : la liberté de gérer son temps et la découverte, à chaque livre, d’un univers nouveau. Points négatifs : devoir gérer son temps ! En général un traducteur littéraire travaille onze mois et demis sur douze, sept jours sur sept, et dix heures par jour !

Quel est votre genre de prédilection ?
Les romans adultes. Je trouve que ce qui se fait en jeunesse en ce moment, et surtout chez les auteurs US, est assez affligeant… Mais c’est un point de vue tout à fait personnel.

Vous traduisez des romans de l’anglais britannique et américain mais abordez-vous la traduction de romans australiens différemment ?
Avant de traduire Mireille Juchau, je ne connaissais pas la littérature australienne, et j’ai été assez surprise de découvrir que la langue s’apparentait plus à l’anglais qu’à l’américain. Impression qui a été confirmée par la traduction de Gail Jones (e.g., Cinq Carillons).

Certains traducteurs disent qu’une bonne traduction ne peut se faire que par une bonne connaissance du pays et de ses coutumes, qu’en pensez-vous?
Personnellement, je ne suis jamais allée en Australie et mes deux traductions australiennes ont reçu les éloges de la presse et de mon éditrice. Donc, il ne me semble pas nécessaire d’avoir une bonne connaissance du pays et de ses coutumes. Evidemment, il faut se renseigner, lire des articles, des livres sur le pays ou l’auteur que l’on traduit. Ce que je fais systématiquement. Et puis, grâce à Internet, les traducteurs ont accès à énormément de doc. Par ailleurs, j’aime beaucoup communiquer avec l’auteur que je traduis.

Pourriez-vous nous recommander un bon roman australien ?
Un bon roman australien ? Five Bells, of course !

Mercure de France

Merci à Josette d’avoir répondu à mes questions.

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