Une enfance australienne / Of a boy de Sonya Hartnett

Of a boy de Sonya Hartnett, Viking 2002
Une enfance australienne traduit par Bertrand Ferrier, Le serpent à plumes 2010

 

 

Résumé : En 1977, Adrian a neuf ans. Il vit avec sa grand-mère et son oncle Rory ; son meilleur ami s’appelle Clinton Hill. Il aime dessiner et il veut un chien ; il a peur des sables mouvants et de la combustion spontanée. Adrian observe le monde qui l’entoure, mais il n’y comprend pas grand-chose. Il ne comprend pas, par exemple, pourquoi trois enfants du quartier, en chemin pour acheter des glaces, pourraient disparaître.

Connue pour ses romans pour enfants et pour jeunes adultes, Sonya Hartnett signe avec Une enfance australienne un roman pour adulte très réussi qui lui a valu les félicitations du public et de la profession. Cette auteure prolifique, qui a publié son premier roman à l’âge de 15 ans, est mondialement reconnue pour son « admirable art de la narration ». Sonya publie presque un roman par an, son livre le plus récent, Golden Boy, est sorti en 2014 et a été (tout comme Une enfance australienne) nominé pour le prestigieux Prix Miles Franklin. Un grand nombre de ses romans sont traduits en français : Finnigan et moiLes enfants du roiL’enfant du fantôme ou encore, L’enfant du jeudi.

Je dois avouer que je ne sais toujours pas dans quelle catégorie classer Une enfance australienne. Il appartient apparemment aux romans pour adulte, mais le thème et le style me font plutôt penser à un roman pour jeune adulte.

Bref, là n’est pas le sujet.

Je trouve que ce roman capture parfaitement les peurs (parfois irrationnelles) des enfants. Adrian vit avec sa grand-mère parce que sa mère est atteinte d’une maladie mentale et que son père voulait être libre, une vie avec enfant n’était pas faite pour lui. On imagine donc assez bien d’où vient la peur maladive d’Adrian d’être abandonné. Sa grand-mère n’est pas tendre avec lui et n’a plus la patience de s’occuper de cet enfant docile qui, en somme, ne prend pas trop de place. Son unique ami, Clinton, finit par lui préférer un autre élève de l’école plus rebelle. Et comme Adrian le réalise, « l’école est un long calvaire pour un enfant seul. » Finalement, seule Nicole, sa nouvelle voisine, elle aussi très solitaire, lui permet d’avoir un peu de compagnie. Mais même avec elle, les relations sont difficiles, il se laisse dominer par sa peur de la perdre et n’arrive pas à affirmer sa véritable nature.

Adrian a peur des sables mouvants. Un jour, il pourrait marcher dans la rue et se retrouver gobé par le trottoir. Il a entendu parler de ces phénomènes à la télé. Il a lu des descriptions dans les numéros du National Geographic que collectionnait son grand-père. Ces revues sont une mine d’informations sur les merveilles et les menaces dont personne ne parle. C’est étonnant, d’ailleurs : dans la rue, on ne voit jamais de panneaux avertissant les passants qu’ils approchent de ces portions traîtresses qui peuvent les engloutir. Adrian a donc peur de les découvrir trop tard parce qu’il n’aura pas su les reconnaître. […] Mais le garçon a d’autres peurs, plus intimes, et non moins terribles — ces peurs lui transpercent le cœur à la manière d’une aiguille s’enfonçant dans la peau.

C’est un roman émouvant de vérité qui nous ramène immanquablement à nos années d’école et à la période de l’adolescence, où nous nous sentions tous plus ou moins bien dans notre peau. Adrian se sent extrêmement vulnérable et il n’a pas la force de se construire une carapace pour survivre dans ce monde impitoyable. On voudrait vraiment qu’il trouve quelqu’un pour l’aimer et pour l’aider à grandir dans un environnement où il ne se sentirait pas menacé en permanence.

Construit comme un polar, ce roman se focalise en fait sur les drames quotidiens de nos vies, sur notre besoin de sécurité — que ce soit dans le quartier où nous habitons ou dans le confort de notre maison — et sur notre peur de l’exclusion. Le réalisme du style de Sonya Hartnett et de son traducteur Bertrand Ferrier rend Une enfance australienne (enfance qui ici est australienne, mais qui en vérité est universelle) à la fois poignant et douloureux à lire. Adrian est en fait n’importe quel enfant confronté à ses peurs.

Excellent roman à mettre entre toutes les mains !

 

Le jardin suspendu / The hanging garden de Patrick White

The hanging garden de Patrick White, Random House Australia 2012
Le jardin suspendu traduit par Françoise Pertat, Gallimard 2014

 

Il s’agit du premier roman de Patrick White que je lis. Je dois avouer que j’appréhendais un peu ma première rencontre avec cet auteur réputé pour être, selon Jean-François Vernay :

Un esthète élitiste et perfectionniste, un homme entier, voire un écorché vif qui avait un don reconnu pour l’écriture caustique et la formule assassine.

 

Je pensais trouver un style hermétique, des histoires alambiquées et des descriptions à n’en plus finir. Bien au contraire, et grâce à la qualité de la traduction de Françoise Pertat, j’ai été saisie par le style à la fois élégant et épuré de ce roman, Le jardin suspendu.

Patrick White commença l’écriture de ce roman en 1981, mais l’interrompit au profit d’une pièce de théâtre. Le grand roman en trois parties qu’il voulait écrire ne vit jamais le jour. Seule la première partie, Le jardin suspendu, aura été esquissée et a été publiée en 2012 à titre posthume. Patrick White est un colosse de la littérature australienne, bien qu’il ne soit pas apprécié à sa juste valeur littéraire dans son propre pays. Le Sydney Morning Herald explique « qu’au cours des six derniers mois de sa vie, Patrice White n’a gagné que 7000 $ en droit d’auteur et qu’en 2007, seulement 2728 exemplaires de ses 13 romans ont été vendus. » Il est considéré par certains critiques comme un écrivain qui choisit délibérément de déverser « une diarrhée verbale prétentieuse et inculte ». Un peu dur pour l’écrivain (le seul) australien qui reçut le Prix Nobel de littérature en 1973 « pour un art de la narration héroïque et psychologique qui a fait entrer un nouveau continent dans le monde de la littérature ». Les raisons de cette antipathie s’expliquent peut-être par ses opinions tranchées sur ses compatriotes et sur son pays natal. White a déclaré que l’Australie a démontré qu’il est possible de recycler ses propres excréments.

Résumé de l’éditeur : Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage en Europe, deux enfants sont envoyés en Australie, à l’abri des combats qui ont coûté la vie à plusieurs de leurs proches. Gilbert, jeune garçon réchappé du Blitz londonien, et Eirene, fille d’un résistant communiste grec, sont recueillis par une veuve qui habite une vaste demeure de la baie de Sidney. D’abord sur leurs gardes, les deux adolescents se rapprochent peu à peu et tentent d’affronter ensemble ce monde qui leur est étranger, trouvant refuge dans le parc à l’abandon autour de la propriété. Les recoins de ce luxuriant jardin deviennent le théâtre de leurs jeux et de leurs rêveries les plus intimes tandis que s’annonce l’inévitable séparation.

Le roman alterne avec brio entre la première, la deuxième et la troisième personne pour raconter le passage délicat de l’enfance à l’adolescence d’Eirene et de Gil. Ces deux reffos (réfugiés) racontent tour à tour leurs pensées, leur antipathie pour l’autre, mais aussi l’affection grandissante qu’ils ressentent l’un pour l’autre. J’ai ressenti une sorte d’euphorie à lire ce roman au style, on le remarque, brut et peu travaillé. Bien que la plupart des critiques admettent que ce roman ne soit pas son meilleur livre — après tout, White ne l’avait ni terminé, ni vraiment relu, et avait interdit sa publication — la poésie, la fluidité du style et la vraisemblance des sentiments exprimés par l’auteur et par sa traductrice (!) m’ont vraiment donné envie de lire d’autres de ses romans.

Tous les livres de Patrick White, dont son chef-d’œuvre Voss, ont été traduits et publiés en français dans la collection Du monde entier de Gallimard.

 

The rehearsal / La répétition d’Eleanor Catton

The rehearsal d’Eleanor Catton, Granta 2008
La répétition traduit par Erika Abrams, Denoël 2011 ; Folio 2013

Je n’ai, bien entendu, par fait le tour de la littérature australienne, mais quand un auteur de la région pacifique émerge (ici, la Nouvelle-Zélande), il est important d’en parler. Eleanor Catton est donc Canado-Néo Zélandaise et a reçu le Man Booker prize 2013 pour son roman Les luminaires. Ce prix littéraire récompense un auteur originaire de Grande-Bretagne ou d’un pays du Commonwealth et apporte gloire et renommé à celui qui l’emporte. J’avais lu des critiques assez élogieuses sur son deuxième roman Les luminaires, mais j’ai préféré commencer par son premier roman, La répétition dont l’histoire sur fond de théâtre m’a tout de suite séduite.

L’histoire :

Un scandale éclate dans un lycée de jeunes filles : Mr. Saladin, le professeur de musique, est renvoyé pour avoir entretenu des relations coupables avec l’une de ses élèves, Victoria. Les camarades de classe de l’adolescente et sa jeune sœur se confient tour à tour à leur professeur de saxophone. Toutes sont en émoi, comme brusquement propulsées dans un monde de désir, de choix, de fantasmes dont elles pressentent obscurément qu’ils forgent la vie tout entière. Les adultes, englués dans leurs angoisses et leur lâcheté, essaient tant bien que mal d’endiguer l’onde de choc. L’affaire agite les conversations jusqu’à l’obsession et l’école de théâtre locale finit même par l’adapter en pièce de fin d’année, brouillant définitivement les frontières entre réalité et fiction. En cours de saxophone ou sur les planches, les jeunes personnages expérimentent leur propre désir et celui d’autrui. En sortiront-ils indemnes?

J’ai été déstabilisée dès les premières pages car je n’arrivais pas à comprendre où commençait la pièce de théâtre pour laisser la place à la réalité (du roman, bien entendu). Et même après avoir refermé le livre, je ne suis pas sûre d’avoir distingué ce qui était vrai de ce qui était inventé. Eleanor Catton à propos de ce roman « Si j’ai appris quelque chose avec ce livre, confie-t-elle, c’est que les questions que se pose le lecteur au début ne doivent jamais trouver de réponse à la fin. Il faut que ces questions se transforment. Si elles disparaissent, si on y répond ou si elles demeurent telles quelles, cela veut juste dire que le livre n’est pas bon. » Le monde 08/11. Nous sommes spectateurs d’une pièce de théâtre mettant en scène des adolescents qui apprennent à devenir adultes, sans qu’ils sachent réellement comment faire. Ils tâtonnent maladroitement pour trouver leur marque et font face à des situations crues qui les déstabilisent tel que l’érotisme, la manipulation, les tabous de la société. Ils sont partagés entre leur envie de faire partie du monde des adultes, et leurs réflexes enfantins.

J’ai énormément aimé ce livre, je pense même qu’il fait maintenant partie de mon TOP 3 des livres à lire. C’est un roman complexe, finement tissé et incroyablement beau. Pas de fausses notes ni de faux pas, si vous cherchez un roman qui sort des sentiers battus et qui remettra en question vos certitudes, choisissez-le les yeux fermés !

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