Follow the Rabbit-proof Fence de Doris (Garimara) Pilkington, University of Queensland 1996
Le chemin de la liberté traduit par Cécile Deniard, Editions Autrement 2003
Le chemin de la liberté raconte l’histoire vraie de trois sœurs muda-muda (métisses) qui dans les années 30 ont été enlevées de leur famille par le gouvernement australien pour être envoyées dans des internats tenus par des Midgerji et Wudgebulla (femmes et hommes blancs). Elles étaient toutes les trois métisses aborigènes et font partie comme des milliers d’autres enfants aborigènes de cette période de la Génération volée.
Molly (la mère de Doris Pilkington), Daisy et Gracie avaient moins de 15 ans quand les officiers du gouvernement sont venus les enlever à leur famille. En arrivant au camp pour aborigènes de Moore River, elles décident de repartir sur-le-champ, car l’endroit est une vraie prison : barreaux aux fenêtres des dortoirs ; punitions cruelles pour celles et ceux qui ne respectent pas les règles ; et interdiction de parler leur langue mardujara. Molly est la plus âgée, elle prend donc naturellement les choses en main. Leur parcours est extraordinaire, car elles ont parcouru plus de 2400 km en 9 semaines sans se faire capturer. Et pourtant les autorités avaient déployé les grands moyens pour les retrouver.
Avis de recherche Fillettes Indigènes (11 août 1931)
Le protecteur des aborigènes, monsieur A. O’Neville est inquiet pour trois fillettes indigènes âgées de 8 à 15 ans qui se sont échappées il y a une semaine du camp pour indigènes Moore River, Mogumber. Monsieur O’Neville expliquait hier qu’elles venaient d’arriver de la région de Nugalline, et étant très timides, se sont effrayées de leur nouveau logement, et ont fuit dans l’espoir de rentrer chez elles. Quelques personnes les ont aperçues du côté de New Norcia, et elles semblaient se diriger vers le nord-est. Les enfants resteront probablement loin des habitations et il saurait gré à toute personne qui les apercevrait de l’en informer promptement. « Depuis une semaine, nous les cherchons partout, a ajouté monsieur O’Neville, et la seule trace que nous ayons trouvé d’elles est un lapin mort qu’elles ont essayé de manger. Nous voulons à tout prix qu’aucun mal ne leur arrive pendant leur périple dans le bush ».
Mais monsieur O’Neville, protecteur des aborigènes, n’avait pas bien compris à qui il avait à faire.
Finalement, la question c’est de savoir comment repérer le nord quand le ciel est sombre et gris, sans carte ou boussole ? Il serait facile pour un adulte sans une connaissance approfondie du bush d’être désorienté et de se perdre dans une partie du pays qui lui est étranger. D’autant plus que le paysage est envahi par les broussailles touffues et que le ciel nuageux cache le soleil qui pourrait lui indiquer la direction. Et bien Molly, cette jeune fille de 14 ans n’avait pas peur parce que cette nature sauvage était en elle. Elle lui offrait toujours un abri, de la nourriture et de quoi subsister. Elle avait appris et développé les connaissances pour vivre dans le bush et les techniques de survie auprès d’une personne très expérimentée : son beau-père, un ancien nomade du désert.
Elles ont donc d’abord cherché à rejoindre la Rabbit-proof fence (barrière de protection contre les lapins) puis ont continué leur route vers le nord, pour retrouver leur famille à Jigalong. Malgré les nombreuses personnes qui les ont signalées, Daisy et Molly ont réussi leur odyssée pour retrouver leur famille.
L’histoire de la construction de la barrière de protection contre les lapins est assez amusante:
En plus des chevaux, il y avait d’autres animaux importés comme du bétail, des moutons, des renards et des lapins. Les lapins se sont immédiatement adaptés au climat chaud et aride, et ils se sont reproduits et multipliés à une vitesse inquiétante. Une des mesures prises pour contrôler la population de lapins fut la construction de cette barrière qui fut achevée en 1907. En Australie Occcidentale, la barrière s’étend sur 1834km et rejoint la grande baie australienne près du port d’Espérance au sud jusqu’à la Eighty mile beach au nord de port Hedland. Le gouvernement du moment a suggéré qu’une barrière bien construite et bien entretenue mettrait un terme à l’invasion des lapins en l’Australie-Occidentale. Mais cette théorie s’est révélée fausse, il y avait plus de lapins du côté de l’Australie-Occidentale que du côté de l’Australie-Méridionale.
J’ai adoré ce livre. L’histoire est non seulement bien racontée, mais les premiers chapitres qui décrivent la colonisation de la région du Pilbara (Australie-Occidentale) par les Anglais est passionnante. On découvre comment les blancs ont rapidement pris le dessus sur les communautés aborigènes grâce notamment aux armes à feu et comment se sont passés les premiers échanges entre les familles de colon et les aborigènes venus travailler pour eux.
Le reste du livre relate le voyage interminable de ces trois jeunes filles et donne beaucoup des détails sur leurs moyens ingénieux de subsistance, sur leur façon de faire du feu sans laisser de traces pour les wudgebulla et le marbu (esprit mangeur de chair).
C’est aussi un livre qui parle de la Génération volée, un chapitre de l’histoire australienne longtemps passé sous silence, mais qui a duré de 1869 à 1969 environ et a concerné plus de 100 000 enfants. Le gouvernement australien a présenté des excuses officielles en 2008 (!!), mais c’est encore aujourd’hui sujet à controverse. Le film Australia avec Nicole Kidman et Hugh Jackman (tous les deux acteurs australiens) aborde entre autres ce sujet.